Homélie du Cardinal Jean Pierre Ricard aux ordinations du 29 juin 2008

Cathédrale Saint-André – En la Solennité des Apôtres Pierre et Paul

Dimanche 29 juin 2008

Etre prêtre ou diacre aujourd’hui quelle aventure !

Vous savez, chers amis, que l’on peut entendre cette expression de manières bien différentes. On peut lui donner un sens très positif : quelle belle aventure spirituelle et apostolique, riche en expériences pastorales et en découvertes du Seigneur ! Mais on peut en parler aussi de manière plus problématique : dans quelle aventure ne risquent-t-ils pas de se fourvoyer ? Peuvent-ils s’engager pour la vie au service d’une Eglise en pleine mutation, une Eglise dont on ne peut pas dire quel visage concret elle aura dans 10, 20 ou 30 ans ? Ces interrogations nous obligent à réfléchir à frais nouveaux sur ce qu’est le ministère apostolique, sur ce qu’il est à sa source, avant même de se déployer dans l’histoire sous la triple forme que nous connaissons aujourd’hui : évêques, prêtres et diacres.

En cette année paulinienne –que saint Pierre nous le pardonne – c’est davantage vers saint Paul que nous allons nous tourner. Voilà quelqu’un qui va vivre le ministère apostolique de fondation et de soutien des communautés chrétiennes dans une dynamique d’action non programmée par avance et dans un contexte social difficile. Les difficultés et les épreuves ne lui seront pas épargnées, qu’elles viennent des païens, des juifs, des autorités romaines, des communautés chrétiennes et même des faux frères qui viendront sur ses pas cherchant à fausser l’œuvre d’évangélisation qu’il avait entreprise. Toutes ces difficultés qui auraient pu en décourager plus d’un n’arriveront pas à abattre Paul car son ministère d’Apôtre est porté par un dynamisme qui vient d’un Autre et est habité par une triple passion, triple passion qui doit habiter tout apôtre aujourd’hui.

1) une passion pour le Christ

Paul ne fait pas partie de ces disciples qui ont suivi Jésus depuis le baptême de Jean. Il a été rencontré par le Christ Ressuscité sur le chemin de Damas. Mais cette rencontre qui amène chez lui une conversion radicale va le marquer toute sa vie. Il sait qu’il est appelé par Jésus et envoyé par lui. « Viens, suis-moi ; va, je t’envoie » Toute la vie de Paul est traversée par cet appel du Seigneur. Il découvre en lui cette présence du Seigneur, la lumière de sa Parole, la force transformante de son amour et de sa grâce, la fécondité de la vie en Christ et de sa propre participation au mystère pascal. Comme il le dit dans l’épître aux Galates : « Avec le Christ, je suis un crucifié ; je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi. » (Gal. 2, 19-20) Et c’est parce qu’il expérimente pour lui-même la fécondité du salut apporté par le Christ qu’il veut annoncer cette Parole de salut et la communiquer à tous.

2) une passion pour l’évangélisation

Pour Paul l’évangélisation n’est pas un système de vérités abstraites à transmettre, même si elle a un contenu. Elle n’est pas non plus une simple morale, même si elle a des conséquences éthiques nettes. Elle est d’abord une puissance de salut à communiquer, à faire expérimenter. Il dira d’ailleurs aux Thessaloniciens : « Nous gardons le souvenir de votre foi active, de votre amour qui se met à la peine, et de votre persévérante espérance en notre Seigneur Jésus Christ… L’Evangile que nous annonçons ne vous a pas été présenté comme un simple discours mais il a montré surabondamment sa puissance, par l’action de l’Esprit Saint…Voici pourquoi, de notre côté, nous rendons sans cesse grâce à Dieu : quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l’avez accueillie, non comme une parole d’homme, mais ce qu’elle est réellement, la parole de Dieu, qui est à l’œuvre en vous les croyants. » (1 Th 1, 3-5 et 2, 13) Cette passion de l’Evangile qui faisait dire à Paul : « Malheur à moi, si je n’évangélise » (1 Cor. 9, 16) l’amènera à ne pas s’enfermer dans des communautés chrétiennes qu’il avait fondées, mais à aller vers ceux qui ne connaissent pas encore le Christ. En rêve, il entend ce macédonien qui lui dit : « Passe en Macédoine, viens à notre secours. » (Ac. 16, 9) Quels sont pour nous les macédoniens d’aujourd’hui ? Tout apôtre ne peut pas ne pas porter dans son cœur cette préoccupation lancinante et cette passion de l’évangélisation.

3) une passion pour la croissance des communautés chrétiennes

Si Paul ne s’enferme pas dans les communautés chrétiennes qu’il a fondées, il en reste très proche. Il a le souci de les voir grandir dans la foi, s’affermir dans la vie chrétienne et dans le témoignage qu’elles ont à donner au Christ. Il veille à ce qu’elles se nourrissent bien du don de Dieu. Il met en relation les communautés entre elles, règle les différends, dénonce les situations de contre témoignage, rappelle son enseignement contre des déviations possibles. Il sait que l’entrée dans l’expérience chrétienne, l’initiation à la foi ne sont pas faciles, vu nos résistances ou notre faiblesse. Il y a un combat spirituel à mener. L’engendrement du croyant en nous est parfois long et l’accouchement non sans douleurs. Paul parle aussi de sa paternité spirituelle d’apôtre. Il dit aux Corinthiens : « Je ne vous écris pas cela pour vous faire honte, mais pour vous avertir, comme mes enfants bien aimés. En effet, quand vous auriez dix mille pédagogues en Christ, vous n’avez pas plusieurs pères. C’est moi qui, par l’Evangile, vous ai engendrés en Jésus Christ. » (1 Cor. 4, 14 – 15)

Voilà ce qui est au cœur, chers amis, du ministère apostolique, de ce que vous avez à vivre chacun, Jérôme, Cyrille et Jean-Laurent, avec la grâce de Dieu. Non pas pour en faire votre pré carré ou votre spécialité exclusive mais pour que toute notre Eglise vive bien son apostolicité, cette apostolicité que nous proclamons dans le Credo : Je crois en l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique. Apostolique, c’est-à-dire, non seulement fondée sur les apôtres et fidèle à leurs enseignements, mais aussi vivant aujourd’hui du dynamisme apostolique, de cette triple passion dont je parlais plus haut.

Ce regard sur ce qui doit être vécu par tous dans l’exercice du ministère apostolique n’empêche pas les différences. Si les évêques sont les successeurs des apôtres dans le ministère apostolique, leur ministère ne se déploie pas pleinement sans celui des collaborateurs que le Seigneur leur donne : les prêtres et les diacres. Les prêtres figurent le Christ pasteur, celui qui rassemble ses brebis, les nourrit et les conduit vers le Père. Les diacres figurent le Christ serviteur qui n’est pas venu pour être servi mais pour servir et qui sert son Père en servant l’humanité. Ne tranchons pas ces différences d’accent au couteau : c’est le même Christ qui est Pasteur et Serviteur. Que seraient des pasteurs qui ne seraient pas au service des hommes et des serviteurs qui n’auraient pas la moindre fibre pastorale ! Mais à chacun son charisme. Les prêtres, qui président l’Eucharistie et le rassemblement ecclésial, qui reçoivent le sacerdoce ministériel, rappellent que nous avons à nous recevoir du Seigneur et à nous rassembler pour faire corps ensemble, le corps du Christ. Les diacres eux rappellent que l’Eglise n’a jamais à se refermer sur elle-même comme un simple club religieux mais qu’elle est faite pour les hommes, et pour les pauvres en particulier, puisque un des signes que le Règne de Dieu est là – et c’est Jésus lui-même qui le dit – c’est que les pauvres sont évangélisés !

Jérôme va être ordonné prêtre, Cyrille et Jean-Laurent diacres.

Cyrille va par toute sa vie donner un signe permanent de ce ministère diaconal. C’est pourquoi on parle dans l’Eglise de diacre « permanent ». Jean-Laurent reçoit lui aussi ce ministère de diacre. Il ne reçoit pas un ministère amoindri ou au rabais. Mais devant être appelé normalement à l’ordination presbytérale, il n’exercera pas de façon visible et permanente toute sa vie ce ministère diaconal. Pourquoi l’Eglise demande-t-elle alors à ceux qui vont être prêtres d’être préalablement ordonnés diacres ? Je ne crois pas que ce soit pour des raisons purement contingentes. Elle a gardé cette pratique pour que les prêtres n’oublient jamais qu’ils ont été ordonnés diacres et qu’ils doivent toujours exercer l’autorité dans l’Eglise comme des serviteurs. Cela normalement devrait fermer la porte à tout autoritarisme clérical.

Evêques, prêtres et diacres, chacun doit pouvoir vivre son charisme propre au service du ministère apostolique. Mais, tous, nous avons à nous entraider pour le faire.

Chers amis, avec le Christ et l’aide de son Esprit, tous les temps sont bons pour vivre le ministère apostolique. Si on y est appelé et que le feu de l’Evangile brûle en nous comme une passion, c’est une aventure qui vaut le coup d’être vécue. Amen

+ Jean-Pierre cardinal RICARD
Archevêque de Bordeaux, Evêque de Bazas

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